Par Thierry Quéré
La pierre de seuil, là, sous tes pieds, n’est point une simple pierre parmi tant d’autres. Non, elle est vivante, elle veille et attend patiemment le pèlerin qui ose franchir le portail sacré. Elle s’y tient, enroulée sur elle-même telle une vipère endormie, prête à mordre, prête à frapper d’une morsure sourde et invisible. Ses contours usés par le passage des siècles la rendent trompeuse, familière presque, mais son pouvoir est ancien, plus vieux que les murs qui l’entourent.
Lorsque le pèlerin approche, c’est comme si la pierre l’appelait, douce et insidieuse, l’envoûtant d’une caresse silencieuse, l’invitant à poser ses pieds nus sur sa froide surface. Elle le cajole, elle l’hypnotise comme un serpent enroulant sa proie dans une danse enivrante, et pourtant, elle le met en garde : « Pose ici ton pied, voyageur, et tu sentiras ton être se délester d’un poids que tu ignorais porter. Mais sache-le, si tu quittes ce sanctuaire par moi, je te mordrai deux fois, et tu porteras ce fardeau à jamais. »
Vois-tu, cette pierre, elle n’est point ordinaire. En vérité, elle a été retournée par les sages bâtisseurs pour inverser la polarité du lieu. Comme un seuil entre deux mondes, elle diminue ton champ vital, elle absorbe les ombres qui hantent ton esprit, elle te vide des charges émotionnelles et dissout en toi toutes ces informations indésirables qui t’alourdissent. Elle est comme une coupe que l’on vide pour mieux la remplir de la lumière divine. Ici, devant l’église, tu n’as point d’autre choix que de passer sur elle. Car nul ne franchit la porte sacrée sans en premier lieu se purifier.
Et lorsque tu poses le pied, tu sens cette étrange sensation qui te parcourt. Comme si l’on tirait doucement sur les fils de ton âme, délestant ton être d’un fardeau secret. La pierre te vide, elle te dépouille de tes pensées parasites, de tes peines invisibles. C’est un vide que tu ressens, une séparation d’un poids dont tu ignorais l’existence. Le pèlerin, d’un pas hésitant, se voit vidé, nettoyé, prêt à recevoir.
Souvent, cette pierre se trouve à l’ouest, là où l’ombre du soir vient mourir sur le seuil. Là où le pèlerin entre, dépouillé de tout, pour renaître dans la clarté du sanctuaire. Il n’y a nul moyen de l’éviter. Elle est la gardienne, elle absorbe toute ton énergie, pour que tu ne sois plus qu’un vase vide, prêt à être empli par la grâce divine.
Mais prends garde, ô pèlerin. Si tu sors à nouveau par ce même seuil, cette pierre qui t’a purifié à l’entrée te frappera de nouveau. Car la sortie par là te ramènerait à tes anciens fardeaux, et son pouvoir se retournerait contre toi, te vidant de nouveau et te replongeant dans les ténèbres. Les avisés connaissent une autre issue, une porte secondaire, discrète, par laquelle ils peuvent s’éclipser, ayant rempli leur âme de la lumière du sanctuaire.
Ainsi est la nature de cette pierre : gardienne et purificatrice, mais aussi juge sévère. Pose tes pieds sur elle avec humilité, car elle te videra de ce qui t’encombre, te délestera de tes fardeaux. Mais respecte-la, car elle te rappelle que la voie passe d’abord par le vide, avant que la lumière ne puisse te rempli